(mm.) ☆ a favorite memory we always run to.

« Ça ira Marianne. » Elle sentit la main de son aîné enserrer la sienne. Elle venait de fêter ses dix ans. Fêter  était un bien grand mot. Elle aurait dû fêter ses dix ans. Ses parents étaient sortis pour acheter de quoi célébrer l’occasion. Ça aurait dû être une belle journée, elle aurait voulu que ce soit une belle journée, mais ça avait été tout le contraire. Ça avait été la pire journée de sa vie. Chaque année qui s’écoulerait, le jour de son anniversaire serait une journée incroyablement atroce. Ce serait toujours son anniversaire, le jour où elle prendrait une année supplémentaire, le jour où certains continuerait de lui souhaiter un joyeux anniversaire. Mais jamais ce ne serait joyeux, jamais ce ne serait une belle journée. Maintenant, ce serait aussi l’anniversaire de la mort de ses parents. Ils étaient sortis de bonne heure ce matin là, pour acheter les derniers préparatifs pour la fête. C’était madame Hudson qui gardait Marianne et son frère. Une femme très gentille qui avait toujours des histoires farfelues à raconter. La vieille dame semblait tout connaitre du monde, Marianne l’aimait beaucoup. Ses parents étaient partis mais ils n’étaient jamais revenus. Accident de la route, ce genre de choses qui arrivent comme on dit. Un type avait grillé un feu rouge et ses parents étaient morts. La vie ne tenait pas à grand-chose finalement. Depuis le hublot de l’avion qui les emmenait jusqu’en Amérique, la petite fille apercevait le paysage qui disparaissait peu à peu. Londres, ses amis, la maison de ses parents, là où elle avait grandi, là où étaient tous ses souvenirs. Tout ça disparaissait peu à peu. Un jour, il n’en resterait plus rien. Très vite, ce serait des inconnus qui allaient vivre dans sa maison, très vite ses amis allaient l’oublier et pourtant, elle, elle s’en souviendrait. Elle ne voulait pas oublier Londres et tout ce qui allait avec. Elle ne voulait pas oublier ses parents et simplement passer à autre chose. Elle n’avait pas franchement l’impression que ça irait, malgré les mots de son aîné, elle avait l’impression que jamais plus rien n’irait. Elle n’avait pas envie de quitter Londres pour aller habiter en Irlande avec sa grand-mère. Elle aimait sa grand-mère, mais là n’était pas la question. Elle voulait juste que les choses redeviennent ce qu’elles avaient toujours été. Elle voulait que ses parents reviennent et qu’ils soient heureux, tous les quatre, comme ils l’avaient toujours été. La cadette Moriarty avait eu une enfance des plus heureuses. Ses parents étaient des gens adorables et son frère était à ses côtés en toutes circonstances, encore plus efficace qu’un garde du corps. C’était cette vie là qu’elle voulait, rien d’autre. C’était peut-être ça son problème au fond. Elle avait été habituée à toujours avoir ce qu’elle voulait. Elle n’avait jamais été exigeante, ni capricieuse, mais à force de patience, elle avait toujours eu ce qu’elle désirait. Aujourd’hui pourtant, ce qu’elle voulait, elle ne l’aurait jamais. La vie qu’elle avait eue avec ses parents était définitivement finie, qu’elle le veuille ou non. Elle était triste, incroyablement triste. Elle sentait son petit cœur douloureux et elle avait envie de pleurer, encore et toujours. Pourtant, elle retenait ses larmes, elle était forte, même si c’était compliqué, même si elle était fatiguée à force d’être forte. C’était ce qu’on lui avait toujours appris, à être forte même dans les moments les plus difficiles, parce que la vie pouvait être dure mais qu’il ne fallait pas la laisser gagner. C’était ce que madame Hudson disait toujours. Sa mère elle, elle disait que quoi qu’il arrive, elle aurait une belle vie, qu’il ne pourrait pas en être autrement que jamais elle ne laisserait quoi que ce soit lui arriver. Pour l’heure, il était plus simple de croire les paroles de madame Hudson. Elle laissa échapper un soupire avant de laisser sa tête basculer pour rejoindre l’épaule de son grand frère. Ça irait qu’il disait. Elle aurait tellement aimé pouvoir penser comme lui. Malheureusement, elle n’y arrivait pas, pas pour le moment en tous cas.

« Merde, merde, merde. » Dans un soupire, la jeune femme se laissa tomber sur le lit de sa chambre étudiante. Elle n’était qu’une imbécile. Ce genre de parfaite idiote qui enchainait les faux pas et qui n’apprenait jamais de ses erreurs. Elle avait eu des rêves fous, des buts qu’elle aurait voulu un jour atteindre, mais il fallait qu’elle se rende à l’évidence. Il n’y avait pas son semestre qu’elle avait foiré, c’était toute sa vie qu’elle avait fichu en l’air comme une imbécile. Elle pouvait presque aujourd’hui dire que c’était une bonne chose si ses parents étaient morts, au moins, ils n’étaient plus là pour constaté de ce que leur fille était devenue. Elle était bien loin, la gentille petite Marianne qu’elle avait été bien des années plus tôt. L’irréprochable petite fille qu’elle avait été, était probablement morte en même temps que ses parents. Depuis ce jour, elle n’avait eu de cesse de foncer droit dans le mur. Si elle s’en était sortie au lycée, il fallait bien admettre qu’à l’université, ce n’était pas la même affaire. Elle n’y arriverait jamais, surtout pas maintenant. Elle se souvenait encore de l’un de ses enseignants qui lui avait dit que réussir une année universitaire en ayant la gueule de bois au moins trois fois par semaine, ça relevait du miracle. Il avait raison et elle ne croyait pas aux miracles. Elle n’y croyait plus depuis longtemps. Le décès de sa grand-mère n’avait rien arrangé. C’était la vie qu’on disait, l’ordre naturel des choses, elle était âgée et elle était morte paisiblement. Ça aurait du suffire à lui faire accepter les choses. C’était inévitable, il fallait qu’elle parte un jour. Elle était épuisée, veuve depuis de nombreuses années, elle avait élevée plusieurs enfants, elle avait perdu une de ses filles et s’était occupée des enfants de cette dernière comme s’ils avaient été les siens. Elle méritait le repos, c’était elle-même ce qu’elle disait, toutes ses fois où elle se sentait épuisée. Elle méritait d’aller se reposer auprès de Dieu. Elle ne voulait pas être trop vieille, incapable de se gérer elle-même, elle avait peur des maladies et tout particulièrement d’Alzheimer. Elle ne voulait pas oublier toutes les choses qu’elle avait vécues. Son époux, ses enfants, ses petits enfants, elle voulait mourir en se souvenant d’eux. C’était ce qui s’était passé et dans la famille, ils étaient nombreux à dire que c’était une bonne chose. Elle n’arrivait pas à penser de la même façon. Elle était lasse de voir les gens mourir et pourtant, c’était inévitable, c’était la vie, elle s’arrêtait un jour, parfois trop tôt, comme pour ses parents, des fois, pile au bon moment, comme pour sa grand-mère. Il n’empêche qu’elle n’arrivait pas à l’accepter. Le seul moyen qu’elle avait trouvé pour vivre avec, c’était les fêtes étudiantes, alors oui, elle avait la gueule de bois trois jours par semaines, mais au moins, elle ne s’apitoyait pas sur son sort. Quoi qu’elle allait peut-être commencé à en juger le test de grossesse positif qu’elle tenait entre ses doigts. Elle n’était pas assez mature pour mettre au monde un enfant d’autant plus qu’il était inutile de lui demandé qui pouvait bien être le père. Une relation d’un soir alors qu’elle était complètement bourrée. Ça ne pouvait être que ça, elle n’avait pas eu de relation sérieuse depuis longtemps. Elle était fichue, ce gosse était fichu avec elle. Elle aurait pu avorter ou le faire adopter. Ces idées lui passaient par la tête bien sûr, mais elle qui ratait tout, elle qui ne savait pas où allait sa vie, elle voyait finalement dans ce petit être grandissant au fond de ses entrailles, une chance de rédemption. Elle allait quitter la fac, elle allait trouver un travail et elle élèverait tant bien que mal cet enfant. Elle se souvenait des paroles de la vieille Hudson, il fallait qu’elle soit forte et qu’elle se batte contre les difficultés de la vie. Elle posa une main sur son ventre encore plat. Ce serait ce qu’elle ferait. Elle allait se battre et cette fois, elle réussirait.

« Tu ne peux pas faire ça ! » Elle avait eu un grand sourire sur les lèvres et il venait de tout gâcher. Bien vite, son sourire s’effaça, laissant place à une expression déçue. Il était son meilleur ami, ce type qu’elle avait rencontré bien des années plus tôt et qu'elle n'avait jamais quitté après ça. Ils avaient grandi ensemble, ils s’étaient soutenus dans les moments difficiles, ils s’étaient réjouis pour le bonheur de l’autre, ils avaient pleurés sur les peines de l’autre et là, il recevait la nouvelle de ses fiançailles d’une telle façon qu’elle avait l’impression de prendre un bus en peine face. « Quoi ? » Trop perdue, elle n’arriva pas à prononcer d’autres mots. Ça devrait de toute évidence être suffisant pour qu’il lui apporte les explications dont elle avait besoin. « Tu ne peux pas épouser ce type … Il … C’est un connard. » Les yeux de la jeune femme devinrent bien rapidement aussi ronds que des boules de billards. Est-ce qu’il venait vraiment d’insulter l’homme avec qui elle était en couple depuis trois ans déjà ? Non elle n’avait pas rêvé, il l’avait vraiment insulté. « De quel droit tu te permet d’insulter mon fiancé comme ça ? » Car oui, qu’il le veuille ou non, elle était bel et bien fiancé au connard, la preuve étant qu’elle était venu le lui annoncé, le sourire aux lèvres, la bague au doigt. « Je l’ai jamais senti ce type. Ça sent le mariage qui se finira mal. » Elle laissa échapper un rire ironique, en trois ans, il était temps qu’il émette enfin un avis sur son petit ami, ce n’était pas comme si elle lui avait demandé bien des fois ce qu’il pensait de lui. Jamais il n’avait répondu avec franchise de toute évidence, sinon, ils n’en seraient pas là aujourd’hui. « Tu as un sixième sens peut-être ? Tu sais quels mariages ont un avenir et lesquels vont finir en divorce c’est ça ?  » Non il n'en avait pas elle le savait très bien «Tu sais quoi, c'est peut-être toi le connard dans l'histoire ! » C'était sorti tout seul, elle n'en pensait pas un mot, elle regrettait déjà ses paroles mais il était trop tard, elle l'avait dit et il ne lui laisserait pas la chance de s'excuser. «Très bien, dans ce cas vas-y, mais si tu te plantes, faudra pas revenir pleurer vers ton connard de meilleur ami !» Niveau susceptibilité, ils se valaient sans doute, niveau rancune également. Ils ne s’étaient que très peu disputés depuis qu’ils se connaissaient, là c’était clairement une première, jamais les reproches n’avaient été aussi tranchants. « C’est ça, casse toi, j’ai pas besoin de toi de toute façon, je suis heureuse, ma vie est parfaite alors je ne vais pas tout foutre en l’air pour toi. » C’était comme ça qu’elle voyait sa vie. Parfaite, elle avait pourtant bien galéré pour en arriver là. Ça n’avait pas été facile tous les jours, ça n’avait jamais été facile, mais elle était aujourd’hui fiancée, elle avait une fille extraordinaire et elle était vraiment amoureuse de son petit ami, pas question de foutre ça en l’air sur des suppositions bidons. Son ami, ou du moins, celui qui l’avait été, leva les yeux au ciel avant de quitter l’appartement en claquant la porte avec force derrière lui. Ça irait, il avait tord et elle allait lui prouver, même s’il ne serait plus là pour le voir.

« Non … Je peux pas. » Sur ces mots l’homme rebroussa chemin, la plantant là. Devant les invités, devant le prêtre au beau milieu de l’église. Elle était là avec sa belle robe blanche – payée une fortune – au beau milieu d’une église et lui, il était parti. Ils étaient censés se marier aujourd’hui, c’était oui je la veux ou un truc du genre normalement qu’il aurait dû lui dire. Elle avait l’impression que son cœur qui avait été arraché de la poitrine. Elle sentait tous ces regards gênants sur elle. Ils feraient mieux de partir et vite, de toute évidence, ils perdaient leur temps le mariage venait d’être annulé. Son mariage venait de tomber à l’eau avant même d’être prononcé. Elle ne savait même pas pourquoi. Peut-être parce que l’homme qu’elle aurait dû épouser n’était qu’un connard. C’était ce que son meilleur ami avait essayé de lui dire, à croire qu’il voyait dans le futur ce con là. Ça n’avait pas d’importance, elle n’irait pas pleurer à sa porte, il le lui avait interdit de toute façon. Il pouvait allait se faire foutre. Ils pouvaient tous allé se faire foutre. Dans un long soupire elle attrapa le pan de sa robe d’une main et celle de sa fille de l’autre. Sans un mot, sans un regard à personne dans cette maudite salle, elle quitta à son tout l’église, avec le peu de dignité qui lui restait encore. Le peu de dignité que l’autre nase n’avait pas violemment piétiné. Une fois sortie de l’église, elle prit une longue bouffée d’air, descendant rapidement les marches, heureusement personne n’était là pour lui balancer du riz à la gueule, sans quoi, elle se serait débrouiller pour que cette personne s’étouffe avec ses grains de riz. Il était là, à quelques mètres de l’église et il allait se manger la raclée de sa vie. Marianne se pencha vers sa fille. « Tu veux bien retourner à l’intérieur voir tonton, je reviens après. » La petite fille acquiesça, sa mère l’embrassa sur le front avant de la regarder filer vers l’église qu’elle venait de quitter. Une fois sûre qu’elle était arrivée à bon port, elle avança vers celui qui venait de la lâcher comme une imbécile devant l’autel. « Qu’est-ce que tu fous, ça t’amuses ? » Elle le poussa avec violence, enfin  elle n’avait pas assez de force pour vraiment lui faire mal, mais ça n’avait pas d’importance. Elle aurait aimé, afin qu’il puisse avoir aussi mal qu’elle en cet instant. « Je suis désolé. Je vais partir, tu peux garder tout ce que tu veux, je vais juste partir. » Ce qu’elle allait garder c’était ses couilles dans un congélateur en guise de trophée. Jamais elle n’avait été aussi énervée, tout comme jamais elle ne s’était jamais sentie aussi humiliée de toute son existence. « Partir ? Tu décides de partir le jour de notre mariage ? » Il leva les yeux vers elle, comme si ses paroles prenaient soudainement tout leur sens. Elle fronça les sourcils. « Si tu voulais pas m’épouser, fallait pas me demander ma main ! » C’était vrai après tout, pourquoi est-ce qu’il avait attendu de se retrouver là, devant l’autel pour la plaquer, il avait largement eu le temps avant. « Je suis désolé ok ? » Elle laissa échapper un léger rictus, ironique bien évidemment. « Va te faire foutre avec tes pauvre excuses.  » Dans un soupire las, elle tourna les talons. Elle aurait mieux fait d’écouter son meilleur ami, il avait raison, il avait toujours raison et voilà à quoi ça l’avait menée de ne pas l’écouter. Elle, en robe de mariée, lâchée devant l’autel. Elle avançait lentement vers l’église de laquelle les gens sortaient. Magnifique mariage, vu comment ça tournait, au moins, il y avait encore le gâteau, lui elle le ramènerait chez elle  pour se noyer dedans. Elle ne le partagerait qu’avec sa fille, il n’y avait bien qu’elle qui en valait la peine.